PAPA, MAMAN, TON FILS, TA FILLE, EST DANS LA RUE !

TRAVAILLEURS DE L’USINE EXACOMPTA, DES PTT, DE L’ANPE… TRAVAILLEURS DU Xe ARRONDISSEMENT, DE PARIS, DE FRANCE ET D’AILLEURS…

Nous sommes les élèves du Lep d’électronique, à un jet de boulon d’ici, vos fils. Aujourd’hui nous sommes dans la rue comme les étudiants. Mais pas exactement pour les mêmes raisons qu’eux. Ils se battent contre la sélection dans le cadre de l’université.

Nous, nous nous battons contre la sélection de l’école, mais surtout contre la ségrégation sociale, contre la misère ! À l’école on nous parle sans cesse de l’entreprise, on nous propose d’y faire des stages, des visites comme au zoo, comme si c’était quelque chose de sympa, de naturel et qu’on avait le choix. On est venu vous demander votre avis et vous donner le nôtre.

Alors comment ça va dans l’usine, qu’ils appellent joliment « l’entreprise » ? Ça boume ? C’est sympa ? La paye est bonne ? Les machines silencieuses ? Le singe est cool ?

Répondez-nous ! Sinon on va s’imaginer que la taule c’est infect, qu’on s’y emmerde, qu’on paume sa vie, que c’est désespérant, dégueulasse…!

Et ne nous dites pas le contraire, on vous croirait pas, on voit quelle tête vous tirez quand vous rentrez le soir, vous nous regardez même pas, vous allumez la télé, vous bouffez, vous soufflez un peu, vous vous couchez.

On s’adresse à vous car il y a quelques années, vous étiez à notre place, et ces années, vous êtes payés pour savoir combien elles ont filé vite ! Dans un an, deux, trois, c’est notre tour, alors on se renseigne pour n’être pas déçus plus tard.

Alors, vous voulez pas sortir ? Qu’est-ce qui se passe ? Vous trouvez que tout va bien ?

Ou peut-être que vous n’avez pas de revendications précises ? Hein ? C’est ça ? On va vous dire un secret, nous non plus ! Et justement, c’est la meilleure ! Celle qui les emmerde le plus car là ils peuvent pas nous couillonner. Ce qui nous fait chier c’est un bloc, on peut pas faire le détail ! Vous dites : « C’est irresponsable, vous ne gagnerez rien… » Vous vous trompez : on a déjà gagné, nous nous sommes trouvés, nous avons communiqué entre nous, nous avons réinventé pour nous l’amitié, la fraternité, l’activité… On a rigolé, comme rarement ! C’est énorme !

NOUS SOMMES DANGEREUX, NOUS DEVENONS INTELLIGENTS !

Alors, les gars, les filles, vous voulez pas venir avec nous ? C’est dans l’air ? Vous ne le sentez pas ? Vous n’entendez rien ? C’est à cause des machines. TROP DE BRUIT, TROP DE FUMÉE ! ARRÊTEZ-LES ! DESCENDEZ DANS LA RUE !

La première usine à descendre soutenir la jeunesse, ça fera un choc, dans dix ans encore on s’en souviendra : « C’est eux ! C’est les premiers qui sont descendus ! » Vous savez ce qui les fait chier : ils se disent ILS DESCENDENT… ILS REMONTERONT JAMAIS…

Parce que vous ne dites rien, ils croient que vous ne direz jamais rien ! Que c’est fini, qu’ils vous ont baisés ! Montrez-leur que c’est eux, les cocus de l’Histoire ! Descendez qu’on s’explique ! On est de l’autre côté du mur, sans patrons, sans partis, sans syndicats, libres comme les chevaux. Venez parler avec nous. Sinon on va se faire ramasser ! On vous attend ! Hep ! On a besoin de papier !

— LES LASCARS DU LEP, PARIS, 1986